Ces 2 semaines furent pleines de rebondissements. Laissez-moi donc vous les conter point par point pour une meilleure lecture. Et puisque j'ai pas mal de temps pour écrire, autant en profiter.


DERAPAGE


Javerne a bien fait de partir ce matin, sans quoi on aurait dû leur racheter un bateau...


Il est 22h30,cela fait une heure que nous sommes au lit quand soudain des bruits étranges et un vent inhabituel dans la cabine arrière attirent mon attention. Je sors. Taoumé est travers au vent, mes amers se sont déplacés... Et merde, on dérape ! Mais heureusement, on a pas mal de marge. Si nos amis suisses n'avaient pas levé l'ancre ce matin, ils se seraient trouvés juste sur notre trajectoire. Ça n'empêche pas l'ambiance d'être un peu fébrile à bord. Je laisse encore 2 ou 3 minutes à mon ancre pour raccrocher le fond de vase mais comme le confirment le GPS et mes impressions, elle n'en fait rien.

Lulu à la barre, nous démarrons le moteur et remontons la chaîne. Nous avons dérapé sur presque 200 mètres. Dire que je me demandais si j'allais réussir à la remonter après 2 mois d'immobilité... Me voilà rassuré.

Reste maintenant à mouiller de nouveau. De base, c'est une manœuvre qu'on n'aime pas trop pratiquer de nuit. Il se trouve que là, en plus, il y a pas mal de bateaux, du vent, des vagues et plein de bouées un peu partout, invisibles par une nuit sans lune. Nous détenons cependant un atout : on connaît assez bien la zone depuis le temps qu'on la traverse en dinghy.


Le plan est simple: se mettre plus en avant sur la zone de mouillage, plus près du bord, dans moins de fond avec plus de chaîne. Le premier essai n'est pas le bon. L'ancre accroche tardivement ce qui nous place un peu trop près d'un bateau derrière nous. On remonte la chaîne et on recommence.

Lulu nous positionne un peu plus haut entre Madimba (un bateau désert) et un corps mort. Je jette l'ancre et envoie tout de suite beaucoup de chaîne. On accroche le fond, Taoumé se met en travers, sa poupe frôle presque le voilier abandonné. Je laisse la chaîne filer librement puis la retient lorsque le risque de collision est écarté. J'attends que mon embarcation se remette face au vent avant d'envoyer les 15 mètres qu'il me reste. Nous en sommes quittes pour une petite montée d'adrénaline nocturne. Autant dire que cette nuit là, nous n'avons pas très bien dormi.


Notre premier dérapage aura permis au bateau et à l'océan de se rappeler à nous. Quelque part, il nous a remis le pied à l'étrier et nous a prouvé que c'était le genre de choses que l'on pouvait et devait gérer.


LES PLEINS


Notre fil conducteur de la semaine ! Cela fait déjà quelques jours que l'on remène quotidiennement 50 à 100 litres d'eau douce à bord. Au lendemain de notre nuit tourmentée on s' attaque au plein de gasoil.

Les bateaux de Patrick et Gillou ont bougé eux aussi. Ils n'ont pas dérapé mais trouvant l'extérieur de la zone de mouillages décidément très inconfortable, ils se sont rapproché de la côte au petit matin. Je passe leur emprunter leurs bidons histoire de pouvoir ramener en un seul voyage 300L de carburant.


Je n'ai pas encore eu l'occasion de parler d'eux sur ce blog et je m'en veux. On les connaît depuis Noël et ce sont des personnes en or. Ces 2 marins solitaires basés à Mayotte naviguent chacun sur un sloop en acier. Patrick a le sien depuis 1995 et celui de Gillou a été construit à la Réunion. On a hâte de les retrouver dans 2 mois.


Bref, Lulu et Tao ont fini l'école, le Yacht Club nous appelle un grand taxi et on file avec tous nos bidons à la station service la plus proche. Le trajet aller est simple, le retour est beaucoup plus éprouvant. Chaque bidon fait entre 25 et 30L et on en a 11,tous pleins. Heureusement, un des employés du Club nous aide à les descendre jusqu'à la plage. Un autre les amène à bord avec une grande barque.

Reste à hisser notre chargement sur le pont et à tout vider dans le réservoir principal, délicatement, en filtrant et en essayant de ne pas en mettre partout, sous le soleil équatorial de midi.

Le reste de la journée, Tao prend le quart pendant que ses parents font la sieste. Pas question de gratter la coque cet après-midi, ni de ramener 50L d'eau. Oh, et puis si, on va quand même ramener un peu d'eau aujourd'hui.


Tous les autres jours de la semaine on fait des courses. C'est bien l'eau et le gasoil mais ça ne remplit pas l'estomac. Chaque passage en ville est l'occasion d'aller au marché et au supermarché. On ne sort jamais sans nos cabas et nos sacs à dos. À force, on connaît tous les équipages de dala-dala et chauffeurs de Tuk-Tuk. Lulu se lance tous les après-midi dans la confection de conserves, coachée à distance par Gillou. Serions nous parés au départ ?


CARENAGE


Dimanche après-midi, pris d'un grand élan de motivation, je commence à gratter la coque. Tout un écosystème m'attend là dessous. Des coques, des anémones, du corail, des algues... Certaines espèces sont urticantes, ce n'est pas très agréable. Ce dimanche là, le plan d'eau étant très agité, je bois une bonne quantité d'eau de mer, mais j'arrive tout de même à lisser un quart de la surface immergée du bateau.

À raison d'un quart de coque par jour (sauf lundi, jour du gasoil), j'arrive à bout de ce travail nécessaire, pas toujours facile mais plutôt agréable quand la mer est calme, malgré la visibilité quasi nulle des eaux de la baie. Ça fait un bon entraînement d'apnée.


Du mardi au jeudi, de 16 à 17h, la carène de Taoumé est devenue le point de rassemblement de tous les petits poissons du coin. Un jour, je verrai même 5 plataxs attendre sous la quille que je leur serve le repas.


FORMALITES ADMINISTRATIVES VS METEO


Lorsque l'on se lance dans cette entreprise, c'est un peu un coup de poker. Les tests covid en sont la cause. Il nous en faut un de moins de 72h avant le départ. On se rend donc mercredi matin au labo de l'hôpital pour effectuer les prélèvements. Heureusement qu'on est tombé sur un infirmier génial qui nous accompagnera dans la quête des résultats jusqu'au bout. Entre l'élaboration du dossier en ligne et le paiement sans cesse différés par les pannes de réseau, l'acheminement des tests à Dar Es Salaam où ils sont techniqués et l'édition des résultats, on n'en voit pas le bout.


Vendredi, la météo pour la semaine à venir nous est toujours favorable, on poursuit donc avec les douanes et allons effectuer notre clairance de sortie. On a dans l'idée de partir le lendemain, en transitant par Zanzibar puis Dar Es Salaam avant d'entamer la traversée vers Mayotte d'une durée estimée de 5 jours. Les officiers des douanes sont vraiment sympas et nous font le papier en 15 mn.

L'après-midi même, l'immigration était censée passer au Yacht Club pour tamponner nos passeports mais ils ont oublié. On les rappelle le lendemain et ils envoient la personne d'astreinte. De toute façon, n'ayant toujours pas reçu les résultats des tests, on se disait qu'on pouvait bien retarder notre départ de 24h.


Donc, samedi, l'agent des services d'immigration arrive en fin de matinée. Très bien. Il accepte de tamponner les passeports sans avoir les résultats des tests qu'on ne récupérera que le soir mais demande quand même 10 000 TZS à titre officieux pour le déplacement. J'obtempère.


Nous sommes en règle pour un départ dimanche 16 janvier, c'est un grand soulagement. Là dessus on croise Patrick, je prends la météo avec lui et... Catastrophe ! Les prévisions encore douces la veille ont pris une toute autre tournure. Elles annoncent la formation d'un système cyclonique qui passerait au sud de Mayotte juste après voir pendant notre arrivée. Et encore, ça c'est si on oublie le transit par Zanzibar et Dar, sinon il faudrait s'attendre à naviguer dans la tempête.

Grande question, que faire ? On décide de partir tout de même le lendemain matin vers Zanzibar, de s'y abriter pour la nuit et de suivre de près les prévisions avant d'aller plus loin.


JEUX DE PLAGE


En fin de semaine, les membres du yacht club viennent souvent en famille. Ce qui signifie plein de copains "et de filles" pour Tao. Il est assez difficile à canaliser depuis un moment. Aussi, lorsqu'il demande à rester jouer sur la plage, on accepte d'autant plus facilement qu'on sait qu'il va passer une longue période sans sortir du bateau.

Mon boulot pendant que Lulu fait des conserves consiste donc à surveiller mon fils qui joue parfois seul, parfois accompagné devant le club, de lui renvoyer le ballon et de discuter avec les copains pendant qu'il passe de longues heures dans l'eau.

C'est chouette de le voir s'éclater avec d'autres enfants, d'être comme un poisson dans son élément et de tomber de sommeil le soir venu. Il s'est bien intégré au groupe de jeunes et même si la communication semble parfois compliquée, ils arrivent à passer beaucoup de temps ensemble.

D'ailleurs, Tao a l'air plus touché par le départ de Tanga que par les précédents. Mais avec l'assurance de retrouver tous nos amis marins et plein d'autres enfants à Mayotte, la pilule passe plus facilement.


BUMBWINI


Dimanche, 6h30 du matin, nous levons l'ancre de Tanga après plus de 2 mois d'immobilité direction... Zanzibar. Gillou nous attend à la sortie du mouillage, sur son kayak, avec son chien, pour nous dire au revoir. Ça fait chaud au cœur. À dans 2 mois Gillou !

Vous allez me dire :"Il n'y a pas autre chose que Zanzibar et Tanga en Tanzanie ?" C'est vrai qu'on ne fait pas preuve d'original. Mais vers le sud et à maximum 12h de nav' de Tanga, le choix est limité : outre l'île aux épices, on a Pangany où les autorités sont réputées malcommodes (vue notre situation, je tire un trait dessus) et Bagamoyo où l'on arriverait que de nuit et dont la passe n'est pas cartographiée.


Cette première navigation de l'année a tout d'une reprise en douceur. Elle commence par 6h de moteur. Pas de vent dans la baie de Tanga (pour une fois) puis toute la matinée, il est complètement arrière et trop faible pour nous permettre de bien avancer. Donc, plutôt que de tirer des bords à 3 nœuds, on consomme notre gasoil durement acquis à 6 nœuds sur la route directe. Vers midi, le vent tourne un peu et se renforce. On sort de la toile et on coupe enfin le moteur. On est à mi chemin, l'allure est super confortable et tout va bien. À l'approche de Zanzibar, on peut vraiment dire qu'on a du vent et il vient maintenant de l'est. Le bateau avance bien même avec une configuration de voiles prévue pour le portant, je décide donc de tout laisser tel quel. Je borde juste un peu plus le génois.

J'hésitais entre plusieurs mouillages pour notre arrivée, mais l'heure avançant, il n'en reste plus que deux accessibles avant la nuit: Kendwa et Bumbwini. Le second nous amène un peu plus au sud que l'autre, il semble tout de même être un meilleur abri et c' est de là qu'on avait quitté Zanzibar 2 mois et demi plus tôt avec Elodie.


Pour vous resituer, Bumbwini est un petit village de pêcheurs derrière lequel se trouve une petite baie entourée de mangrove. Si nous n'étions pas arrivés en même temps qu'un catamaran de location, j'aurai qualifié le lieu de sauvage et authentique. Mais vue la taille de la crique, on ne se marche pas dessus. Pas très loin de nous, une cabane sur pilotis est en construction et 4 boutres traditionnels sont échoués à marée basse.

Avant de dormir, conseil de guerre. Les prévisions météo nous annoncent toujours la même chose, voire pire. On discute, on envoie des messages, on passe des coups de fil... J'expose la situation météo à mon équipage et ce qui en ressort c'est qu'on est trop crevés et que foutu pour foutu, on ne bouge pas demain et on se voit ça à tête reposée.

Lundi matin, on est toujours sur des prévisions similaires, sans la moindre date de départ en vue dans les 8 jours qui viennent. Un sentiment de stress et d'accablement liés à l'incertitude et à l'attente nous envahit d'abord. Ce n'est pas facile de ne pas savoir où on va, ou plutôt quand on y va. Et puis, il suffit de faire remarquer quelques éléments essentiels pour faire retomber la pression. Après tout, on ne manque de rien à bord, on a le luxe d'être une petite famille qui s'aime et qui dispose de temps à passer ensemble; on trouve toujours une bricole pour s'occuper à bord et le coin est franchement sympa.


Le seul problème de Bumbwini c'est que l'on est exposé sur le cadran nord ouest et justement, ce matin, il y a un peu de houle qui rentre. Rien de bien sérieux, mais puisqu'il n'y a rien d'autre à faire, on recherche sur les cartes un mouillage potentiellement mieux abrité, au cas où la mer décide de se lever pour de bon.

Dans l'après midi, le vent tombe complètement, la mer est d'huile, le catamaran est parti depuis longtemps. Lulu et Tao se baignent à l'arrière du bateau ; à part ça, rien ne bouge. Rien ? C'est quoi ces ondes de surface le long du banc de sable, là-bas ? Des souffles, des nageoires caudales horizontales, un saut : des dauphins ! Lulu et Tao les voient depuis la surface, moi depuis le pont. Ils sont d'abord à environ 300 mètres puis se rapprochent à une cinquantaine de mètres du navire. Le mousse, d'abord effrayé veut remonter à bord; on lui fait remarquer que ce serait génial si les dauphins venaient lui dire bonjour dans l'eau. Il y retourne donc. Trois éclaireurs passent à côté de l'étrave avant de partir vers Nungwi. Mes 2 amours, toujours à la poupe, n'ont pas eu le temps de s'approcher. Au total, on apercevra une vingtaine de dauphins dans la zone. Ils y resteront jusqu à la tombée de la nuit.


Le lendemain matin, nous levons l' ancre et partons trouver un nouvel abri au sud de Chapwani, en face de Stone Town, sur les conseils de deux couples d'amis, sous génois seul, au portant par 20 nœuds de vent. Une fois qu'on a réussi à bien se caler par rapport à la houle, cette petite matinée de navigation se transforme en véritable moment de détente. Même Tao y met du sien. Mais comme nous le rappellent certaines pirogues quasi invisibles au ras de l'eau, restons vigilants.


RESCAPES


À croire que l'Océan Indien a envie de me donner matière à écrire. De mardi à jeudi, nous sommes restés au sud de Chapwani, petite île paradisiaque en face de Zanzibar (à moins d'un mile de la Marina). Notre vie se poursuivait paisiblement dans la continuité de Bumbwini: baignade, surveillance de la météo (qui ne donne toujours pas envie d'aller à Mayotte)...

Nous avions en tête de rejoindre la Marina vendredi pour refaire le niveau des réservoirs d'eau, racheter des fruits et légumes frais. Selon la météo, nous envisagions de refaire une entrée dans le pays et de laisser le temps au temps de s'améliorer. Finalement, notre agenda a été précipité de quelques heures.


23h30, un vent soutenu et de la pluie s'abattent sur nous. Je sors pour voir ce qu'il en est. Problème, je ne vois rien du tout. Je mets Lulu en alerte et cours chercher mes lunettes et allumer les instruments. Jusque là, tout va bien... Mais ça ne va pas durer. Le vent s'est renversé, il vient plein sud, il y a des éclairs partout et la mer se lève. Nous sommes complètement exposés mais le mouillage tient bon et le vent ne dépasse pas les 30 nœuds. Je décide d'attendre et de laisser passer tout en restant vigilant. ERREUR.

Nous avons déjà eu quelques orages depuis que nous sommes là. Ils suivaient le sens des vents dominants (de nord en cette saison) à quelques degrés près, soufflaient jusqu'à maximum 30 nœuds et passaient assez vite. Une bascule de 180° aurait dû me mettre la puce à l'oreille. On avait affaire à un autre type d'orage.

15 minutes plus tard, la mer devient vraiment mauvaise et le vent forcit encore. Cling! L'ancre dérape. On est jeté à la côte à toute vitesse. Je démarre le moteur, Lulu se met au poste de barre. Elle est complètement paniquée, elle n'arrive à rien dans ces conditions. Je lui donne un cap et fonce vers le guindeau pour essayer de vite relever le mouillage et s'échapper. Trop tard. La quille de Taoumé tape dans le sable. Une fois, 2 fois, puis elle y reste.


On a talonné, et là, on est échoué. Le bateau gîte, la houle le soulève par moments puis nous laisse nous écraser de nouveau. Je tente une manœuvre à la barre sans succès. Lulu va s'habiller rapidement et rassurer Tao, pétrifié dans son lit mais silencieux. Il a bien intégré que là, il fallait nous laisser travailler. Deux éléments jouent en notre faveur: l'ancre s'est raccrochée au fond, elle nous empêche à présent de toucher pour de bon la côte et la marée est basse, ce qui veut dire que dès qu'elle sera assez haute, nous serons libérés... Si tout tient en l'état d'ici là.

Il faut que j'occupe Lulu, à toute fin utile et avec des tâches simples. La pauvre a perdu tous ses moyens. Comment lui en vouloir ? Et pour tout avouer, je n'en mène pas large moi non plus. Ainsi, je la laisse 2 minutes dans le cockpit avec pour mission de m'avertir au moindre élément nouveau, le temps d'expliquer la situation à Tao. Il est immobile, les yeux exhorbités dans son lit. J'arrive difficilement à lui tirer un "oui papa" en lui demandant si ça va. Je remonte vite à la barre pour retenter d'extirper le bateau de là et demande à ma seconde de préparer des affaires en cas d'évacuation. Elle bouffe la moitié des consignes mais ce sera toujours ça de gagné si on doit abandonner le navire.

À 00h20, le mauvais temps est à son comble. Le vent dépasse les 40 nœuds. Si on omet les valeurs à priori aberrantes que m'indique l'anémomètre, on prend des rafales à 45 nœuds et même 48. La houle se creuse proportionnellement. Maintenant, elle nous soulève du fond mais nous tapons toujours dans chaque creux. Les chocs sont secs et violents. Je retente ma chance à la barre en essayant de profiter au mieux de la crête des vagues. Une, deux, trois, quatre... J'arrive à orienter Taoumé dans le bon axe, ça fonctionne. Et là, splash ! On tape sur l'eau, plus dans le sable ! Hourra !


Lulu n'a toujours pas retrouvé tout son calme, mais pas le choix, je lui laisse la barre pour aller remonter le mouillage. Je fais de grands signes, je hurle pour me faire entendre, mais dans cette nuit noire agrémentée de vent, de pluie et de tonnerre, elle ne comprend pas la moitié des indications que je lui donne ou bien, si elle les comprend, elle n'arrive pas à les mettre en application. Je n'en sais rien, je suis à l'avant à me faire copieusement rincer tout en essayant de remonter une chaîne tendue à mort sans y laisser une main. Tout à coup, perte de résistance, le guindeau avale la chaîne à toute allure. Pas étonnant, il n'y a plus d'ancre au bout.

Nous sommes libérés du fond, personne n'est blessé, nous avons perdu notre ancre mais le bateau semble intact. Les conditions météo sont toujours très mauvaises. Cependant, nous avons la maîtrise de l'embarcation, Lulu à la barre, moi à la navigation. Un coup d'œil dans la cabine de Tao: il s'est rendormi. Notre objectif est de rejoindre la marina dès que l'orage s'apaisera, ce qui est loin d'être le cas à ce moment là. Quand on ne se fait pas trop secouer, entre 2 rafales, je commence à préparer amarres et pare-battages.


Entrer une nuit de mauvais temps dans une marina inconnue et non cartographiée sans aucune assurance d'avoir une place disponible, ça ne s'improvise pas. Heureusement, j'avais étudié les lieux la veille et avait une idée claire de la configuration du terrain. Je m'apprêtais à faire mon tout premier atterrissage sous Google Earth.

Le vent tourne et faiblit un peu, il est presque 2h30 du matin. On se rapproche de la marina. Et puis ça se renforce de nouveau. Au moins, ce premier passage nous aura permis de relever quelques amers pour mieux visualiser l'alignement à suivre quand on se décidera à entrer. Et trouver des amers (repères fixes à terre) avec le peu de visibilité dont on dispose, ce n'est pas facile. Nous continuons donc nos ronds dans l'eau entre Stone Town, Chapwani et la marina une heure de plus. J'en profite pour briefer encore une fois Lulu sur ce qu'elle aura à faire. Tout est paré à bord. Le vent a bien tourné à présent, l'orage se déplace vers le nord mais nous soumet encore à des rafales de 25-30 nœuds.

Et puis, alors que nous tirions un bord cap sur notre destination, nous jouissons d'une grosse accalmie. C'est décidé, je me lance. Si on ne rentre pas maintenant, autant attendre que le jour se lève. Dans le chenal, à la barre, Lulu n'arrive pas à se situer et nous envoie directement sur la digue. Ça valait le coup de prendre des amers ! Faut dire que le froid et la fatigue se font un peu sentir. Je déborde les pare-battages et lui prend la barre; elle me tient le téléphone allumé avec une vue satellite de l'entrée et notre position GPS approximative. Vous avez du mal avec Google Map dans votre voiture? Petits joueurs !

Des coups d'œil sur le sondeur, sur le téléphone et tout ce qui m'entoure, à l'affût de la moindre facétie de l'orage, je me dirige entre la digue et le banc de sable. La bouée de limite sud de la passe est invisible. Je ne fais pas le malin, mais alors, pas du tout. Et puis je souffle un peu. Ça y est, on est entré.

Le plan d'eau est vraiment sombre. Des lumières en hauteur forment une sorte de contre jour pas du tout pratique quand on vient de la mer. On dépasse un ferry rapide, puis l'étrave d'un 2°et là, miracle, un grand ponton complètement libre. En plus, il est éclairé à la manière des pistes d'atterrissage des avions. Dans l'enceinte de la Marina, nous sommes parfaitement protégés du petit vent résiduel qui vient à présent du Nord-nord-ouest. Nous avons un large espace pour manœuvrer, je m'aligne au ralenti et m'arrête au mieux face aux taquets du long ponton prévu à la base pour de gros transports de passagers.

Lulu saute sur le ponton, garde avant en main alors que j'arrête sans effort la course du bateau et elle reçoit l'aide du veilleur de nuit qui accourt en nous voyant arriver. On lui expose notre situation mais pas d'inquiétude, qu'on se repose, on verra le staff dans la matinée.


CHANGEMENT DE PLAN


Il est 3h45 du matin lorsque j'éteins le moteur et après toutes ces péripéties, j'ai du mal à trouver le sommeil. Pourtant on se réveille à 8h30 (merci Tao) avec 2 idées en tête : régulariser notre situation et souffler un grand coup. La première tâche nous a pris toute la journée.

Pour faire simple, nous voici répartis avec un nouveau visa de 3 mois, une place à la marina payée pour 1 mois complet et des forfaits téléphoniques rechargés. De quoi laisser passer la saison cyclonique sur Mayotte, régler tranquillement les soucis matériels et nous remettre de nos émotions. C'est aussi la possibilité de prendre un peu de recul pour tirer des leçons de cette expérience et de remettre le bateau vraiment au propre.


Pour ce qui est de se reposer, ce n'était pas pour la première nuit à la marina. Aussi près de la terre ferme, les insectes nous harcèlent non stop jusqu'à ce qu'un autre orage de la même trempe que celui de la veille nous tombe dessus à 5h du matin. Ça me rappelle Berguita, une tempête tropicale que j'avais vécu seul à bord au port de la Réunion.

La situation est beaucoup plus simple à gérer que la veille mais reste super impressionnante. La mer dehors est blanche, les pontons font des bonds de 1 mètre et tout le monde renforce ses amarres. Je double, triple, voire quadruple les miennes et on change celles qui pètent, sur notre bateau comme sur celui des autres.

Et puis, vers 8h,le vent tourne vers le nord-ouest, les défenses du site font leur boulot et on retrouve un peu de calme. Entre 2 tempêtes, je vais occuper mon week-end à chercher mon ancre.