Le vent s'est brusquement levé à 5h du matin puis s'est soudainement calmé à 9h. Ça commence bien ! Et en plus, on est vendredi. Passés la ville et le parking de porte-conteneurs, nous longeons une côte magnifique, très peu habitée, constituée de très très longues plages et de plateaux rocheux où s'écrasent les vagues, d'où éructent les souffleurs. La nav' aurait pu être vraiment sympa si les conditions météo avaient été au rendez-vous. Mais les previsionnistent se sont encore plantés.

Pas un brin de vent, sauf à l'arrivée, bien entendu. Nous avons donc passé les 8h qui nous séparaient de Shungu Bay au moteur, subissant tant bien que mal la houle de travers et le roulis. Autant dire que pas mal de trucs ont volé dans le bateau et qu'on est heureux de ne plus avoir le mal de mer. Tout ça pour arriver sur un mouillage mal abrité où l'on se fait encore secouer. Pour couronner le tout, de gros orages pointent leurs nez à l'ouest. Refusant de me laisser surprendre lorsque ce n'est pas nécessaire, je passe la moitié de la nuit sur le pont à veiller. Bref, on est au mouillage et je prends le premier quart de nuit.

Au loin, j'observe le spectacle incessant des éclairs. Il y en a presque à chaque seconde. Dans cette nuit sans lune, j'essaie d'évaluer si oui ou non ils approchent en mesurant leur hauteur par rapport à la ligne d'horizon. Là je crois qu'ils arrivent, finalement non. Au dessus de nos têtes le ciel est complètement dégagé, merveilleusement étoilé. Et pas la moindre trace de civilisation à des kilomètres à la ronde.

Vers minuit, l'activité électrique au loin s'estompe notablement. La mer se calme elle aussi. Ce vendredi nous aura coûté pas mal de carburant, il aura été inconfortable et stressant mais finalement, tout s'est bien passé.


Notre deuxième étape se situait à une vingtaine de miles de là : Kwale. Cette fois, on a pu mettre des voiles: génois et artimon en grand. On avançait au grand largue, je n'ai pas mis la GV pour éviter de déventer le génois. Mais par ce vent très modéré, il me fallait autant de toile que possible, d'où l'artimon. Nous avons donc fait route ainsi, essentiellement à la voile+moteur et un peu sous voile seule.

Nous sommes arrivés assez vite à Kwale. Le problème,ce fut la prise de mouillage. La vase au fond était trop liquide, l'ancre n'accrochait pas. Au troisième essai, nous y arrivons enfin. Mais il a fallut rogner sur les marges de profondeur. Ainsi, d'après mes calculs, il devait rester 0,5m d'eau sous la quille à marée basse. Le fond étant assez plat, le bateau pouvait tourner autour de son ancre sans problème; et même dans le cas d'un improbable dérapage, ça laissait un peu de temps pour réagir. Par contre, des éphémérides erronées ou une bête erreur de calcul et on passait quelques heures avec la coque dans la gadoue. Du coup je me suis quand même levé à 22h30 et à minuit pour m'assurer que tout se passait comme prévu.

À Kwale, nous ne sommes pas descendus à terre, pas plus qu'à Shungu. Le paysage était sympa: petite plage sur la pointe ouest, petite mangrove face au bateau, beaucoup d'arbres partout. On fait notre vie tranquillement à bord. Au petit matin, peu avant de lever l'ancre, 2 pêcheurs à la rame sont venus nous saluer. Comme ils avaient une petite faim, on leur a donné quelques fruits. Et puis, vers 8h30, c'est reparti. Cap sur Boydu. On s'améliore: on arrive maintenant à partir une heure après le réveil.


8h de navigation intégralement effectuées à la voile+moteur et nous nous mettons à l'abri derrière Boydu où Javerne nous attend. Ici, les cartes sont vraiment imprécises ce qui nous vaut 45 minutes de ronds dans l'eau avant de jeter l'ancre. Au final, côté mouillage c'était l'opposé de la veille: on se retrouve avec 15 mètres de fond sous la quille, ce qui ne me plaît guère avec ma longueur de chaîne limitée. Mais là, l'ancre accroche immédiatement et surtout, l'abri est idéal, rien ne bouge.

À peine le moteur est-il éteint que Michel, Piou et Sylvie arrivent en dinghy: "vous venez ? On est attendus à terre !"

On se change en 5mn on met quelques affaires dans le sac étanche et nous voici fonçant vers la plage. En guise de comité d'accueil nous rencontrons Hussein, un jeune homme natif de Boydu qui parle anglais et italien. Il sera notre guide. Il est accompagné d'un homme saoul, gentil mais un peu lourd.

Pour la petite histoire, Hussein s'est fracturé les 2 jambes en tombant d'un cocotier étant enfant. Un touriste italien l'a amené se faire opérer en Europe. 20 ans plus tard, il ne garde presque pas de séquelles, ce qui tient du miracle. D'après ce que j'ai compris il avait les 2 jambes en miettes et la marche permanente sur le sable ne doit pas aider.

Nous commençons la visite par une dégustation de noix de cocos fraîches. Il faut dire que ce n'est pas ce qui manque ici. La petite île (environ 1 km de long sur 200m de large est recouverte de cocotiers. Il y en a même un au beau milieu du terrain de foot, pour mettre un peu de piment pendant les matchs, sans doute.

Ces arbres camouflent parfaitement le village. De la mer, on aperçoit difficilement 1 ou 2 cases et quelques pirogues sur la plage, mais une fois sous les arbres, on se rend compte que le village s'étent sur toute la longueur de Boydu.

Ici vivent 900 habitants dont 200 enfants. Pour tout service public, ils disposent d'une école (animée par 6 enseignants) et d'un dispensaire où travaille une "vieille infirmière" (paroles d'Hussein). Environ tous les 200m, il y a un puits. L'un sert à la boisson, l'autre à la lessive... Du centre du village, on peut apercevoir à la fois la plage nord et la plage sud de l'île. Le contraste est saisissant, comme sur un motu polynésien avec le lagon d'un côté et le grand large de l'autre.

Le temps pour moi de passer voir l'arbre sacré de Boydu (un filaos géant, unique filao de l'île), pour Tao de se baigner et pour Michel de faire quelques prises de vues avec son drone et nous retournons vers les voiliers où Corinne, restée à bord de Javerne nous attend pour le dîner. Au menu ce soir: purée et saucisses. Sauf que Corinne qui fait de "simples saucisses", en fait, ça donne un véritable rougail, le piment en moins.


Songo Songo. La navigation pour s'y rendre depuis le nord nous offre des paysages magnifiques. On croise entre les petites îles de Okuza, Simaya et Nuyuni, entre les bancs de sable et les récifs affleurants tout en évitant les filets de pêche.

Malgré les installations relatives à l'extraction du gaz naturel, Songo Songo n'en demeure pas moins une très belle île mais dont les eaux doivent être appréhendées avec concentration. En allant sur la plage qui nous semblait déserte nous rencontrons 2 ingénieurs de la compagnie de gaz qui se baignaient là après leur journée de travail. Ils me demandent si gentiment que je ne peux leur refuser un petit tour d'annexe mais très vite, voyant la côte s'éloigner, ils demandent à rentrer.

Petit problème à Songo Songo, c'est que l'endroit idéal pour mouiller est traversé par des pipelines, pas possible d'y jeter l'ancre. Nous sommes donc exposés au sud ouest et bien sûr, les orages menacent. Une fois de plus, je passe un début de nuit à veiller mais les orages resteront sur le continent et nous bénéficierons d'un peu de pluie, pas de vent. Dieu des mers, merci.


Prochaine escale, Kilwa Kisiwani, petite île séparée du continent par un bras de mer. Aujourd'hui, le moteur a encore tourné toute la journée et plus de 5 miles entre mangrove et bancs de sable nous attendent avant de trouver le coin idéal: pas trop profond mais suffisamment loin des bancs sans pour autant perdre la protection de la côte face aux vents et aux courants... Nous sommes littéralement entourés par la végétation, le plan d'eau évoque un lac.

Nous prenions l'apéro avec l'équipage de Javerne sur Taoumé lorsqu'un guide local arrive en taxi boat pour nous proposer ses services. Gros moment d'hésitation... Mais non, nous déclinons, nous devons reprendre la mer. Pourtant le lendemain matin, au petit déjeuner sur Taoumé la décision est prise à l'unanimité: on passe la journée ici. Le temps d'aller dire au revoir à Javerne (qui trace sa route) et nous partons à l'assaut de la mangrove en dinghy, profitant de la marée haute du matin.

Courageux mais pas téméraires, la marée commençant à redescendre, nous n'oserons pas nous enfoncer trop loin dans cette jungle de palétuviers. D'après les cartes, 200m de végétation dense nous séparent de la terre ferme, les passages sont étroits, sinueux et peu profonds. On pourrait se perdre et lacérer l'annexe 10 fois. Nous tentons cependant une courte intrusion, juste ce qu'il faut pour être cernés de toute part par les palétuviers. Puis il est l'heure de rentrer et pour Tao de se remettre à ses leçons. Il a commencé le dernier "devoir" de moyenne section. Il devrait passer chez les grands peu après notre arrivée à Mayotte.

Nous mettons cette journée à profit pour effectuer 2 ou 3 actes de maintenance sur le navire: vérification des niveaux, rafistolage d'une drisse abîmée, nettoyage du davier et de l'étrave... Le tout dans un calme absolu. Mis à part le passage épisodique d'une pirogue ou d'un taxi Boat faisant la navette entre Songa Mnara et Kilwa Masoko, rien ne bouge. Le silence n'est rompu que par le chant des oiseaux et les excentricités de Tao. Et cerise sur le gâteau, nous captons un peu de réseau. Juste de quoi appeler nos parents pour la première fois depuis que l'on a quitté Dar.


Étape suivante: Kiswere. Et enfin nous pouvons faire de la voile. Je veux dire, VRAIMENT de la voile, sans moteur sur plus de la moitié du trajet. À 4 nœuds de moyenne, on y met le temps mais nous arrivons tout de même une heure avant la nuit sur un mouillage calme et charmant.

Il faut noter que l'atterrissage ne se passa pas sans émotions. À l'approche de la baie, le tonnerre se fait entendre et de gros nuages noirs grossissent à vue d'œil sur notre sud-ouest. Ni une ni deux, j'appelle Lulu et on réduit la voilure. Je ne garde que la moitié de mon génois, on ralentit à 2,5 nœuds et le bateau reste bien manoeuvrant. Parfait.

Attendons de voir ce qu'il se passe. Des éclairs maintenant, manquait plus que ça. Et puis, sur la côte, rien de plus. Les nuages sont toujours là, moins noirs, c'est tout. Nous rentrons dans la baie, mouillons facilement à l'endroit prévu et passons une bonne soirée.

Nous serions bien restés quelques jours ici aussi pour visiter mais malheureusement, il faut avancer. La saison touche à sa fin et nous avons un peu de boulot à effectuer à Mtwara avant de partir pour Mayotte.


Ah, les plans... En quittant Kiswere après une nuit calme et reposante, nous avions dans l'idée de rejoindre Mchinga, y passer la nuit et tracer sur Mtwara directement. La baie de Mchinga, bien que petite et assez ouverte sur le large semblait être un abri suffisant pour la nuit et nous permettrait d'éviter Lindi, économisant ainsi 2 heures de route pour accéder au mouillage et autant pour le quitter. Mais comme le dit si bien mon épouse, les plans sont faits pour être changés, pas pour être suivis.

Nous avons donc jeté l'ancre à Mchinga. La houle, bien que très atténuée au fond de la baie fait rouler Taoumé. La vie ici promet d'être inconfortable, mais bon, c'est juste pour une nuit. Le décor, lui, est somptueux: longues plages de sable blanc, îlots recouverts de végétation, petit village de pêcheurs camouflé sous les cocotiers (depuis Boydu on a appris à mieux les repérer), troupeaux de vaches qui viennent se baigner... La côte sud tanzanienne est un véritable joyau.

La nuit s'annonçait inconfortable, elle s'est avérée franchement mauvaise. On l'a passée à surveiller le ciel. À 3 heures du matin, un orage s'approchant dangereusement, je décide de changer de mouillage et de nous installer au sud de la baie avant que le ciel ne nous tombe sur la tête. Bien sûr, on se prend la tête avec Lulu

qui manque un peu trop de réactivité à mon goût alors que je l'appelle face à l'arrivée imminente de l'orage.

Finalement, nous aurons eu le droit à beaucoup de pluie et peu de vent associés à cette éternelle houlette inconfortable. Mais l'exercice aura été intéressant et nous aura permis de tester le nouveau feu de pont en conditions réelles.


À 7h du matin, forcément, nous sommes crevés. Nous nous hâtons cependant de reprendre la mer; rester ici est inconcevable. On se prend alors un enchaînement d'averses et d'orages. La mer n'est pas trop grosse, un peu formée mais ça va. Côté vent, c'est compliqué: soit il n'y en a pas, soit il y a le minimum syndical mais qui tourne sans cesse. Pour changer, nous restons donc au moteur.

Ce qui était flippant en revanche, c' étaient les éclairs et le tonnerre. La foudre tombait sur l'eau, non loin de nous. Pas de chance, les 2 seuls paratonnerres à la ronde, ce sont mes mâts. Et cage de Faradet ou pas, je n'ai aucune envie de voir quel impact la foudre pourrait avoir sur mes installations électriques. Heureusement, cet épisode ne dure pas trop longtemps... Contrairement à la pluie qui s'abat sur nous toute la matinée. Quelle idée géniale cette casquette de cockpit !

L'expérience n'étant pas spécialement enthousiasmante et les nuages progressant eux aussi vers Mtwara, nous nous deroutons, direction Lindi. La visibilité est pourrie à notre entrée dans la baie, mais les nuages bas et la brume se dissipent miraculeusement en fin de matinée alors que nous doublons les bouées matérialisant l'entrée du chenal. Une fois atteint le fond de la baie, nous remontons encore sur 3 miles l'estuaire d'un petit fleuve avant de jeter l'ancre, tout contre la côte, entre un petit îlot et une plage de pêcheurs au milieu des bancs de sable. Pour la peine, ici, nous sommes protégés des éléments de toute part et après le déjeuner, alors que la pluie se remet à tomber, nous sombrons dans une longue sieste.


Nous n'avions que très peu entendu parler de Lindi et pas en termes très élogieux... Mais une information essentielle était à retenir: c'est un port de sortie potentiel. Un port tout petit mais disposant des structures administratives permettant de quitter le pays dans les règles.

Vous n'êtes pas sans savoir que la météo est particulièrement importante pour nous. Ce week-end là, elle me tracassait au plus haut point. Si on ne partait pas au plus tard lundi, on risquait de louper la dernière fenêtre favorable pour Mayotte. Les vents s'apprêtaient à tourner... Conseil de guerre à bord samedi soir. Nous avons 36 heures pour faire les pleins, cleaner la coque et faire nos papiers de sortie. Nous nous y mettons d'arrache-pied le lendemain à la première heure avec un planning qui, si aucun contre temps fâcheux ne venait s'ajouter était serré mais tenable.

Les quelques commentaires glanés sur Lindi étaient loin d'être positifs à bien des égards. Et bien nous, on a adoré ! L'accueil sur la plage des pêcheurs fut aimable, chaleureux sans être étouffant. Nous avons trouvé un sympathique marché local à 500m et de là, un chauffeur pour le reste de la matinée. Il parlait très peu anglais mais était honnête et ponctuel.

Après le marché vient le temps des aller-retour en ville pour ramener du carburant et du gaz. Partout, les gens sont souriants, personne ne nous saute dessus en quête de quelques pièces... Vive la Tanzanie non touristique. La petite ville est propre, bien aérée. Il n'y a trop rien à visiter mais s'y promener est un plaisir.

L'après-midi est consacré au carénage. Lulu passe 2heures à gratter au niveau de la flottaison puis j'enchaîne sur les parties inaccessibles depuis la surface. Mon second se sera fait de belles ampoules avec mes vieilles palmes (ce n'est pas faute de lui avoir dit mille fois d'en racheter depuis qu'elle a cassé les siennes aux Seychelles) et moi je sors de l'eau exténué, les mains bien abîmées. Mais au moins, à 17h,tout le boulot est fait.

Lundi matin, ça nous prend du temps, mais nous bouclons les papiers dans les règles. Cela nous laisse l'occasion au passage de nous promener le long du littoral, de découvrir le marché aux poissons, de nous asseoir à l'ombre d'un manguier. Nous croisons là encore des gens globalement aimables, souriants, aidants au besoin.

L'immigration nous demande un bakchich (raisonnable), 2 douaniers demandent à visiter le bateau. Ils ne contrôlent rien du tout, sauf qu'on ait suffisamment de nourriture à bord pour la traversée. Ils étaient surtout curieux de voir de près un voilier de grande croisière. D'après leurs dires, le dernier passage de voilier ici remonte à 8 mois. Après un verre à bord, je les ramène à terre.

Bizarement, cette traversée imminente ne nous a pas soumis au stress habituel. Il faut dire qu'on n'a pas très long à parcourir, qu'on sait maintenant qu'on est capables de naviguer seuls au large et qu'on avait de quoi s'occuper l'esprit et les mains ces 2 derniers jours.

Après quelques détails, à 13h30 lundi 14 mars, nous levons l'ancre et nous éloignons du continent africain. Au revoir la Tanzanie !