S'il y a bien une excursion freestyle, c'est celle-ci. Nous avions élu domicile à Sumbawanga pour se rapprocher du lac Rukwa. Pour cette destination, nous disposions de données moins que parcellaires. Aucune agence pour organiser le déplacement, rien, à priori, sur place pour accueillir des touristes et les emmener à la découverte du lac. Ça s'annonçait folklorique.

Notre plan était simple, pour ne pas dire simpliste: rejoindre en dala-dala une grosse bourgade du nom de Muze, y trouver le moyen de rejoindre les rives, être heureux de voir ça et trouver le moyen de rentrer à Sumba avant la nuit. On se lançait dans l'aventure malgré beaucoup d'inconnues, ce qui a contribué entre autre à rendre cette journée mémorable.

Nous avons eu la chance de tomber systématiquement sur des gens parlant bien anglais aux moments décisifs, ce qui n'était pas gagné dans le coin. À un arrêt de bus, sur le chemin, un type me demande: "Mais qu'est ce que tu penses trouver à Muze ?

-Je ne sais pas, je verrai sur place.

-Hahaha ! Génial! Vas-y, fonces ! Bonne journée !"

Nous quittons la route et empruntons une large piste qui nous rapproche des montagnes. Progressivement, l'aridité du plateau laisse place à des pâturages verts et vallonnés. Puis, alors que les pentes deviennent plus raides, la piste en terre se transforme en voie bétonnée ressemblant au chemin qui monte à la fenêtre des Makes (à la Réunion pour ceux qui connaissent). À ce stade du chemin nous sommes cernés par la forêt équatoriale humide. De la brume s'en dégage, de gros nuages jouent avec les sommets.

On franchit un col, on redescend du côté de la plaine qui borde le lac et abrite Muze. En cours de descente, les freins se gripent. L'équipier de bord trouve l'origine du problème alors qu'on roule encore au ralenti, tout en trottinant à côté du bus, dit au chauffeur de s'arrêter, donne un grand coup de clé quelque part sous le véhicule et on reprend comme si de rien n'était. On n'aurait pas mis plus de 2 heures s'il n'avait pas fallu s'arrêter pour porter assistance à un autre bus en panne au bas de la pente. Muze est en retrait à environs 6 ou 7 kilomètres du lac, au centre d'une plaine potentiellement inondable d'une quinzaine de kilomètres de large encastrée entre les montagnes et la grande étendue d'eau. Le village ressemble à pas mal d'autres que nous avons traversés depuis les Usambaras. Il est situé sur le croisement de 2 pistes qui sert aussi de place centrale avec un arbre qui trône au milieu. Un pub, un ou deux petits restos (selon la définition africaine), quelques échoppes, quelques étals de fruits et légumes et des habitations éparpillées en périphérie entre les arbres et les petits champs. Et j'allais oublier le dispensaire.

À la sortie du dala-dala on est pris dans l'habituel attroupement de bodas-bodas, mais très vite, un jeune homme se démarque du groupe et nous parle anglais. Il s'improvise guide, on prend 2 motos et nous voilà partis sur une piste/sentier vers Rukwa. À partir de là, on a l'impression d'être des stars. Lorsque les gens (adultes comme enfants) nous voient passer, ils nous saluent à force de grands gestes et de cris.

Les derniers mètres avant le petit campement de pêcheurs ressemblent à un parcours de cross, mais nos pilotes gèrent et Tao s'éclate. Là, tout le monde veut prendre une photo avec nous et plus encore avec le petit qui se prête gentiment au jeu. Un des pêcheurs nous propose un petit tour sur le lac pour prendre des photos si on veut. On est partant, mais vraiment juste un petit tour parce qu'on veut se garder du temps pour trouver le moyen de rentrer. Il propulse la pirogue à la rame. De toute façon, il n'y a pas le moindre moteur sur le campement.

Que ce soit le piroguier ou les bodas-bodas, on sent bien qu'ils nous proposent leurs services à des prix un peu élevés par rapport à leurs revenus habituels mais ça reste raisonnable et bien en deçà de ce qui se pratique dans les zones touristiques. On leur cède donc de bon cœur et tant mieux si notre pêcheur peut rentrer plus tôt chez lui aujourd'hui et s'épargner une journée de pêche. Tant mieux aussi si les motards profitent de la balade pleinement et ramènent un peu plus d'argent ce soir chez eux. On espère juste ne pas créer trop d'inflation dans la région.

De retour à terre, on tombe sur un autre pêcheur, plus vieux (la quarantaine) avec un bon anglais qui nous vante le coin et appelle de ses souhaits enrobés d'arguments convaincants les investisseurs à jeter leur dévolu sur ce petit bout de Tanzanie. Autant, acheter une île à Mwanza ne m'emballait pas des masses, autant à Rukwa, c'est une autre histoire.

On a d'ailleurs du mal à comprendre comment cet endroit a pu échapper au tourisme. Les paysages sont grandioses et sauvages, il y a une réserve sur l'autre rive, des sources d'eau chaude un peu au nord, des terres arables, un lac préservé. Le coin regorge de richesses et n'est pas si difficile d'accès.

Bien sûr, ce ne serait pas dans mes principes de faire dans l'usine à touristes et vue la conjoncture actuelle, il faudrait vraiment avoir envie de gaspiller de l'argent. Mais la suite du voyage m'apportera des idées et des exemples sur ce que pourrait être un investissement et un soutien au développement vertueux.

Les gens ici ont l'air de s'en sortir à peu près même si ça ne doit pas être évident tous les jours. Ils aspirent seulement à un peu plus de confort et de sécurité face aux aléas de la vie.