Le temps file à toute vitesse. En arrivant à Mpanda, nous savions que nous ne retournerions pas vers le lac Tanganyika malgré l'envie, mais nous espérions pouvoir organiser une excursion dans le parc national de Katavi à 45 mn de là. Un seul problème: il n'y a pas la moindre agence de safari dans cette ville de 100 000 habitants.

En revanche, nous avons trouvé Denis. C'est un réfugié burundais résidant depuis plus de 20 ans au Québec qui est en visite chez sa famille réfugiée dans un petit village "pas très loin" d'ici. On l'a croisé à la banque où il venait, tout comme nous, faire du change. Il est accompagné de son neveu, la vingtaine, très mauvais guide et un petit peu entreprenant s'il se retrouve seul avec Lulu. Mais pas méchant. Ça ne nous empêche pas de sympathiser et on est invités à passer la journée du lendemain chez la famille.


Je ne pourrais pas ressortir le nom du village. Il n'apparaît pas sur les cartes et personne en ville ne le connaît. Quelle aventure pour s'y rendre ! Un type de l'hôtel parlant à peu près anglais nous accompagne à une station de dala-dala (minibus locaux). De là, tout le monde parle avec tout le monde, on regarde Google, on ne trouve pas le village. On appelle Denis et son neveu et on passe les téléphones à l'employé de l'hôtel ainsi qu'à un chauffeur de Tuk-Tuk (petite voiturette à 3 roues). Ils échangent tous leurs numéros et nous voilà partis on ne sait trop où. Notre chauffeur est à peine plus avancé que nous. Il doit rappeler Denis à 30 km de là et il est dégouté. Le prix de la course annoncé est ridicule pour la distance finalement parcourue. Mais pas d'inquiétudes, bien sûr que je te donnerai plus. On s'arrête au centre d'un village où le neveu nous attend avec sa moto. Il faut le suivre, on y est presque... À 5km près. Une heure de jeu de piste après avoir quitté Mpanda, nous arrivons dans un petit hameau entouré de champs et de forêt.

Au milieu de la brousse, nous sommes accueillis par toute une famille burundaise dont presque tous les membres parlent français. Tao trouve des enfants avec qui jouer et passe une bonne partie de son temps à nourrir les cochons. Au début, on était un peu mal à l'aise. On ne savait pas quoi ramener alors on a ramené des fruits. Je ne savais pas s'ils buvaient sinon j'aurai pris des bières. Mais ils avaient fait le stock. Très vite et en toute simplicité, la glace fut brisée. Nos parcours de vie radicalement différents menaient parfois certaines conversations dans une impasse mais dans bien des cas provoquaient des échanges hyper enrichissants.

Chaque petite case du hameau est en briques avec un toit en tôle ou de paille, sol de terre battue et est composée d'une pièce unique. L'une sert de cuisine, certaines de chambres ou de salle à manger. Nous sommes invités à déjeuner à l'intérieur de l'une d'elles en compagnie des hommes. Les femmes et les enfants sont restés à l'extérieur. Il n'y a pas trop d'air mais il est frais. Après le repas, on récupère toutes les chaises et on va s'installer à l'ombre des arbres derrière les maisons avec les femmes, les hommes et Violette, la petite dernière qui a 6 mois et qui rampe à une vitesse fulgurante lorsqu'il s' agit de s'éloigner de la grande natte installée là pour elle.


L'endroit est calme, alimenté par une douce brise, à l'écart de la piste où ne passent pas plus d'un à deux véhicules motorisés par heure et vierge d'ondes 4G. Idéal pour pour déguster une bière, digérer et bavarder ou somnoler. J'aime interroger Denis sur son histoire. Il devrait écrire un livre. Ce qu'il a vécu est trop grave pour ne pas être exprimé. Je sens qu'il accepte volontiers de se livrer mais pour certains passages, il n'y arrive pas. Lorsqu'on aborde les camps de réfugiés, notamment en RDC, il cherche vite à orienter son récit vers une autre direction ; même lorsqu'il aborde lui-même le sujet. Aussi, je n'insiste pas, j'évite les questions trop directes.

Avec Joseph, son beau frère, on a des discussions un peu plus terre à terre. Normal, il est agriculteur. Le retard des pluies le stresse mais les récoltes ne sont pas condamnées. Il a tenté la culture de noix de cajou mais comme il me le montre, ça a du mal à prendre. Il me surprend en me disant que 5 chiens ne sont pas de trop pour éloigner les hyènes la nuit. Je pensais qu'il n'en restait que dans les parcs. Bref, j'adore Joseph.

Un peu plus tard dans l'après-midi arrive un vieux monsieur, encore plus vieux que Joseph, qui au début ne s'adresse pas à nous. C'est Denis qui l'incite à nous questionner directement. Et on n'est pas déçus!

"Qu'est-ce que vous êtes venus chercher dans la région ? Vous comptez le prendre et vous en aller ?"

Son français est impeccable et ne laisse place à aucune ambiguïté. Je regarde vite fait Lulu qui paraît elle aussi prise au dépourvu puis je me lance:

" euh... On ne cherche rien en particulier. En fait, je voulais voir les grands lacs africains et comme on avait une occasion unique de le faire, on le fait".

D'un coup, la tension descend d'un cran et ce vieux monsieur suspicieux se transforme en encyclopédie vivante. Heureusement que j'avais un peu potassé le sujet des lacs tanzanien et que j'ai quelques notions sur les grands lacs du monde sans quoi je n'aurais jamais pu le suivre. Et le voilà qui me vante les particularités de tel ou tel lac d'Afrique au cas où un jour on décide d'étendre notre quête au-delà des frontières de la Tanzanie.


Nous n'étions pas sereins quant au trajet retour. Mais comme promis, nos hôtes nous ont commandé un transport qui ne parle malheureusement ni français ni anglais mais qui refuse catégoriquement de nous déposer ailleurs que devant la porte de notre hôtel et qui ralenti avec le sourire pour observer les babouins dans la jungle qui entoure la piste par endroits.