LA TRAVERSÉE


Il s'en est passé des choses ces 2 dernières semaines. Beaucoup de mouvements en fait.


Et oui, notre pilote automatique (Elliott) et notre vérin (Paulin) ont bien voulu coopérer. C'est en grande partie grâce à eux que nous avons pu rejoindre Zanzibar sans encombres.

Voici ce que donne notre toute première traversée à 3 de classe internationale en quelques chiffres:


Équipage : 3 personnes. Lulu la seconde, Tao le mousse et moi dans le rôle du capitaine.

1 bateau : Taoumé, ketch de 12m

Distance parcourue : 986 miles nautiques sans assistance

Temps de traversée : 8j 8h et 30mn dont 17h de moteur

Vitesse : 6 noeuds de moyenne sur la première moitié puis 4 nœuds.

Avaries : 0

Blessés : 0

Apprentissage du noeud de 8 pour Tao


Nous avons levé l'ancre pour de bon samedi 9 octobre peu avant midi et c'est un vent de 20 nds, au travers, bâbord amures qui nous cueille au passage de la pointe Matoopa. On avance sereinement à 6,5nds. Le bateau réglé, on laisse tout de suite la barre au pilote, au cas où il se mette en tête de nous faire une mauvaise blague (qu'on puisse faire demi tour), mais non. D'ailleurs il fonctionnera parfaitement dans toutes les conditions rencontrées jusqu'à l'arrivée. Pas un seul décrochage.

Les premières heures en mer sont consacrées au repos, on laisse la pression du départ retomber, on se réhabitue aux bruits de la mer, on suit l'évolution de la houle et du vent.

C'est maintenant le crépuscule, le ciel n'est pas menaçant, les prévisions météo non plus. J'ai déjà un ris dans la grand voile, 1 dans l'artimon et 3 tours de génois sur l'enrouleur. On laisse comme ça pour la nuit.


Première nuit de traversée, là encore, on reprend nos marques. J'ai opté pour des veilles de 6h. Je fais 19h-1h et Lulu 1h-7h. On barrera chacun 3h/6 et il est convenu de barrer également 3h chacun de jour pour économiser les batteries. Ayant éteint le frigo, Eliott et Paulin sont nos principales sources de dépense d'énergie à bord. Ce serait dommage d'avoir un pilote fonctionnel mais de ne pas pouvoir l'alimenter jusqu'à la fin du voyage.

La nuit se passe tranquillement mais entraîne un peu de fatigue quand même. On n'a pas encore retrouvé le rythme.


Dimanche, 9h30 du matin : "Terre en vue !" annonce le capitaine. L'expression plaît beaucoup à Tao qui nous la répète en boucle toute la journée. Il s'agit d'African Bank, une escale réputée incontournable mais que nous contournerons pourtant. On est bien lancés, les conditions sont parfaites pour naviguer. De plus, le pied de Tao n'a toujours pas cicatrisé ce qui l'empecherait de se mettre à l'eau... Bref, on poursuit.

En fin de matinée, je me sens barbouillé, je prends un Mercalm (médicament contre le mal de mer). Idem pour Lulu dans l'après midi. Ce sont les seules manifestations du Ô combien redouté Mal de Mer que l'équipage dans son ensemble subira.


Et toujours nos 6-7 nds, sans forcer, sans avoir à déployer trop de toile.

Petit à petit, j'arrive à me détacher de cette angoisse permanente : "et si ça casse ?" Sachant que les traversées sont l'occasion d'effectuer les meilleures psychothérapies (parce qu'on ne peut pas mentir ni à son bateau, ni à son équipage, ni à l'océan, pas même à soi-même), j'ai décidé de travailler sur la gratitude et sur l'acceptation durant celle-ci.

Côté gratitude, l'épisode de la mise au point de Eliott m'avait déjà mis sur la voie.

Pour ce qui est de l'acceptation, je m'aventurais sur le terrain plus exclusif de ma relation avec l'Océan... Toujours est-il que si je voulais réussir à dormir, je devais en passer par là.

Sauf que lors de notre 2ème nuit de nav', il s'est passé des choses. Le vent forcit vers 22h. Un bon 25 nœuds, plus dans les rafales. Taoumé fait des pointes à 8 nœuds. Je décide de le ralentir un peu. 3 tours de plus dans l'enrouleur, 2ème ris pris dans la GV, moins de gîte, je me suis débrouillé seul, tout va bien.

À 1h, je laisse le cockpit à ma seconde... Qui me réveille à 3h: "L' AIS annonce un bateau à 30 miles". OK, je me lève et commence à regarder mes instruments sur la table à cartes pour m'assurer qu'on ne soit pas sur une route de collision. "Julien, il est juste à côté !" Je sors en catastrophe. Effectivement, un bateau passe à moins d'un mile sur notre bâbord. Il nous avait repéré, avait respecté les règles de priorité et s'était légèrement dérouté pour nous éviter. Je le remercie par signaux lumineux. Lulu a droit à 1 petit cours sur la navigation de nuit et sur les infos à donner en priorité quand on réveille son skipper à 3h du mat'. L'expérience est bonne à prendre.

Ceci dit, c'est la seule fois en 8 jours où elle aura eu besoin de me réveiller donc je ne vais pas me plaindre.


Le lendemain matin, le vent a un peu molli. Je largue 1 ris dans la GV et envoie le génois en grand. Sur les dernières 24h, 144 miles parcourus. Peut-être que Taoumé pourrait tourner plus vite, je n'ai pas eu l'impression de forcer sur le bateau. Mais je me dis que ce n'est pas le moment de pousser au delà des limites connues, même avec un courant légèrement favorable. On verra ça sur des petites traversées d'1 ou 2 jours, si l'occasion se présente.

En milieu d'après-midi, le vent mollit franchement, on perd un peu de vitesse mais les voiles reste gonflées. Allez savoir pourquoi tout le monde à bord était d' humeur bougonne... Jusqu'à ce qu'arrivent les dauphins.

Lulu était à la barre vers 17h. Elle en repère 2 ou 3 et nous appelle. J'harnache Tao et on monte dans le cockpit. Et là, festival ! Une bande de 30 ou 40 dauphins viennent du nord et restent auprès du bateau. Ils jouent devant l'étrave, s'éloignent, reviennent, sautent. L'émerveillement est absolu. Depuis notre départ de La Réunion, on ne voyait que des dauphins solitaires, et encore, ils étaient rares. D'ailleurs, ça nous inquiétait.

Ils nous accompagnent jusqu'au coucher de soleil. J'en apercevrai en début de nuit et le lendemain au réveil, la bande sera là au grand complet. Une magnifique rencontre. Tao est subjugué. Il faut voir ses yeux, son sourire, entendre ses rires et cris de joie. Quant aux étoiles dans les yeux de Lulu...


Mercredi 13 octobre à 8h45, des nuages sombres se rapprochent, je sais qu'il va falloir réduire la voilure mais j'aimerai avoir Lulu avec moi pour l'artimon et elle dort depuis peu. En plus, on n'avance pas vite, j'aimerai garder toute ma toile jusqu'au dernier moment. Bref, j'ai trop attendu pour réveiller Lulu et le coup de vent nous tombe dessus avant d'avoir pu gérer toutes les voiles. Il fut intense mais ne dura pas plus de 30mn. On en est quitte pour une belle frayeur, un beau cafouillage et une bonne leçon de vie. Le temps reviendra au beau en fin d'après midi.


A partir de jeudi, les jours se suivent et se ressemblent. Ma seconde exprime très clairement un sentiment de lassitude. Et moi je me demande pourquoi les batteries ne chargent pas. En fait, des oiseaux ont copieusement recouvert les panneaux solaires de fiantes.

Plus la journée avance et plus le vent mollit. Les voiles fasseyent, tirent par à coups sur le gréement. La mer reste formée en revanche.

Par moment les creux atteignent 4 à 5 mètres, ils sont larges, ne déferlent pas. 2 trains de houle nous harcèlent et se croisent selon un angle de 45 à 60 degrés. On les prend par le travers où par l'arrière. Ce n'est pas spécialement dangereux mais c'est impressionnant et surtout très inconfortable.

L'après midi, on en appelle au soutien "d'Hector le motor". Au moins, la charge des batteries n'est plus un problème.

Les nuits en revanche sont douces et le vent nous permet d'avancer sous voiles seules. J'en profite même pour aller faire des vérifications au clair de la lune ascendante sur l'avant du navire.

C'est en début de nuit et en début de matinée qu'on croise le plus de cargos, toujours à distance respectable.

Sinon, on veille, on mange, on dort, on joue avec Tao, on lui raconte des histoires. Sa plaie au pied a presque complètement cicatrisé. Il me tient gentiment compagnie lors de ma première heure de barre le matin et laisse dormir sa mère tout en faisant des nœuds de 8 sur ses bouts.


Dimanche soir, le 17 octobre à 20h30, 4h après avoir crié "Terre en vue !", nous jetons l'ancre derrière Pungume, petit îlot au sud ouest des côtes de Zanzibar.

Le lendemain matin, à notre réveil, la marée basse nous offre un décor féerique. Des bancs de sable, des îlots déserts, quelques dhows, le continent africain au loin d'un côté, Zanzibar de l'autre, des centaines d'oiseaux, voilà ce qui nous entoure.

Et après une bonne nuit de sommeil et un bon bain à l'arrière du bateau, nous voilà partis à la découverte de la Tanzanie.


PREMIERS JOURS À ZANZIBAR


Qui dit arrivée dans un nouveau pays dit formalités d'entrée. Nous décidons avec Lulu de nous débarrasser au plus vite de cette corvée et levons l'ancre en direction de Stone Town. Nous effectuons l'essentiel des 25 miles qui nous en sépare à la voile et au moteur combinés.

4h plus tard, en approche, je tente d'obtenir des informations par VHF sur les démarches à effectuer, un point de mouillage à rallier.. Seules réponses fournies par les autorités portuaires :" Stand by" et "wait again". L'heure est bien avancée, je vais mouiller au milieu des dhows (ce sont des voiliers traditionnels locaux) et des barques d'excursion touristique.


Le lendemain, on met le pied à terre et on se dirige vers les bureaux du port pour faire l'entrée du bateau, accompagnés d'un monsieur qui s'improvise guide mais qui n'a pas l'air beaucoup plus au courant que moi des formalités à accomplir. On entre dans un premier bureau, des femmes me demandent 20 000,puis seulement 10 000 shillings tanzaniens pour mettre un tampon sur... Pas grand chose parce qu'elles n'ont pas de papier. Elles tamponnent donc le verso de ma clairance de sortie des Seychelles.

Passage ensuite au bureau des services de santé du port où j'obtiens un papier certifiant de la bonne santé du bateau et de l'équipage. On reconnaît le personnel des services de santé car ils sont les seuls à porter un masque. 6 personnes sont dans le petit bureau dont celui qui rempli le formulaire et celui qui a l'idée de nous prendre la température après 20 bonnes minutes de palabres. Les autres prennent le thé... Avec leurs masques. En échange de leur sésame, ils me demandent 30US dollars. Les mesures anti corruption mises en place par l'état ont l'air de présenter certaines failles...

Je n'ai pas l'argent, un agent m'accompagne à un bureau de change et empoche son backchish.

Et a priori c'est tout pour les démarches concernant le bateau. Il nous laisse là, dans la rue.

Passage ensuite à l'immigration pour les visas. Cette fois, c'est carré. Tu paies les visas à la banque, les douaniers me font remplir et me remettent des formulaires officiels, épluchent ma petite crew list... Ceci fait, je sollicite notre très gentil et patient guide pour aller acheter des cartes SIM et de la connexion 4 G.

Enfin, on peut aller manger en bord de mer. Il est pile 13h.Un repas passable et une grosse averse plus tard, on se fait une petite balade dans les rues de la vieille ville.


On passera en tout 3 jours sur place. 3 jours fatiguants. Tu mets un pied à terre et tout le monde tente de te vendre quelque chose de manière hyper insistante, des types s'imposent comme guide continuellement... Ajoutez à cela une barge qui recule et érafle Taoumé au mouillage et vous avez un bon aperçu de notre retour à la civilisation. C'est l'Afrique !


On passe tout de même une bonne journée jeudi. On quitte la ville en dala dala (minibus local) et on se rend dans la réserve de Josany où vivent les colobus rouges à 4 doigts, sorte de gros lemuriens endémiques de l'île. On a même la chance de croiser une famille au sol. Les jeunes viennent jouer avec Tao qui est aux anges.


Le lendemain, il nous reste les pleins d'eau à faire et on lève l'ancre en direction des îlots au large de Stone Town, au calme. On retrouve au passage le Galaxy à Bawé, dont l'équipage nous invite à manger samedi soir un délicieux zourite à la pomme de terre. Lulu ne sera malheureusement pas de la partie. Elle a pris un coup de chaud la veille et n'est vraiment pas en forme. Ce matin, ça va beaucoup mieux.

Notre seul désir est de rester posés là et remettre le bateau en ordre en attendant Elodie, une amie qui débarquera à Zanzibar le 4 novembre si tout se passe bien.