Je pose sur ce blog ces quelques mots parce qu'il s'agir de mon principal moyen d'expression mais également d'un carnet de voyage dans lequel je pourrais me replonger dans quelques années pour m'aider à raviver des souvenirs.


Les réflexions et sentiments qui suivrons me sont venus dans les monts Usambaras. La nécessité de les poser sur le papier m'est venue alors que j'ébauchais le récit de notre voyage dans ce beau massif.

Bref, sur cette page, il n'y aura rien de bien intéressant pour qui est en quête de nouvelles de l'équipage, d'anecdotes sur notre vie de bébés marins, d'aventures, de voyages et de découvertes. Mais promis, le prochain article devrait sortir 2 semaines après le précédent, comme prévu; avec 2 ou 3 photos, comme d'habitude.


Je ne cherche pas à viser ou attaquer qui que ce soit. Si vous poursuivez la lecture, ne prenez pas pour vous ce qui va suivre. A la rigueur, vous pouvez y voir une invitation à évaluer la portée de certains commentaires maladroits, l'écart qu'il peut y avoir entre ce que l'on cherche à exprimer, ce que l'on exprime vraiment et ce qui est perçu; à analyser également vos propres réactions, émotions et sentiments à l'égard de commentaires que vous avez vous-même reçu. Ou pas.

Le petit exercice d'écriture auquel je me prête ici entre tout simplement dans ce cadre.


Par le biais des réseaux sociaux, nous sommes en contact avec différentes personnes : membres de la famille, amis plus ou moins proches, de plus ou moins longue date, anciens collègues, connaissances... Plein de gens que nous avons rencontré dans des circonstances diverses et variées. Certains sont marins, d'autres terriens, nomades, voyageurs occasionnels ou sédentaires.

La quasi-totalité des messages que nous recevons sont enthousiastes, encourageants, réconfortants et bienveillants. Ils font chaud au cœur. Le bonheur, c'est de recevoir des nouvelles de vous, quand vous prenez le temps de nous écrire, nous appeler, répondre à nos coups de fil, nous envoyer des photos...


La quasi-totalité...


Il nous était déjà arrivé d'accueillir une réflexion avec réserve, circonspection voire amertume. Mais ce jour-là, après une journée de marche et de bus, nous parvient un commentaire teinté d'ignorance, de stupidité et d'une bonne dose de mépris. Cette interprétation aurait pu n'être que le fruit de la susceptibilité isolée de l'un d'entre nous, mais en l'occurrence, elle est partagée à l'unanimité.

Pour ce qui est de l'ignorance que laissait paraître ce commentaire, on ne va pas se formaliser. On peut facilement comprendre que les gens ne se référent pas à leur encyclopédie et à leur atlas à chaque fois qu'on publie une photo, qu'on évoque une région ou qu'on s'exprime en termes un peu techniques... Quand on le peut, on se fait un plaisir de répondre aux questions que les curieux se posent... À condition qu'une question soit formulée et qu'on ait la réponse.

En revanche, pas besoin d'être un érudit pour se rendre compte que certaines choses ne sont pas comparables. D'un coin du monde à l'autre, d'un mode de vie à l'autre, certaines notions ne revêtent pas la même dimension. Si l'on ne prend pas en compte cet aspect des choses, on en vient à affirmer des énormités. Quel genre d'homme peut se permettre d'exprimer une appréciation déplacée sur le confort dont on jouit alors que l'on passe la nuit dans un couvent, dans des montagnes africaines, accueillis par des nonnes qui se font un point d'honneur à nous apporter à chacun un baquet d'eau brûlante de 20 litres (pour la douche) qu'elles ont porté sur 200m sans accepter la moindre aide de notre part ? Sans doute quelqu'un qui ne jure que par une vaste demeure bien isolée, bien chauffée, reliée à un réseau électrique... Quelqu'un qui ne goûtera jamais au confort de pouvoir lever l'ancre le jour où une inondation, une guerre civile ou une invasion de sauterelles serviront dans sa région.

Côté mépris, qu'il vienne d'une personne dont on ne se sent pas particulièrement proche ne change rien au fait que son expression est blessante. Proche ou pas, il s'agit de quelqu'un que l'on connaît personnellement. Alors imaginez s'il était exprimé sur un réseau social, en commentaire public, par quelqu'un qui occupe une place importante dans votre vie. Je peux comprendre les jugements de valeurs. Je peux admettre qu'il est difficile d'accepter le mode de vie que l'on s'est choisi, de ne pas y adhérer, de le condamner. On en revient finalement au conflit millénaire qui oppose sédentaires et nomades. Mais pourquoi dans ce cas suivre nos publications ? Quel intérêt de le clamer de manière à peine voilée en taguant publiquement une de nos photos ? Laissant le bénéfice du doute à cette personne, je préfère considérer qu'elle n'est pas très au fait des règles de confidentialité sur Facebook. Pour le reste, c'est IRL que je me réserve un droit de réponse.


Dans un autre registre, un post m'a quant à lui vraiment fait sourire. Peut-être manquait-il un point d'interrogation? Toujours est-il que c'est très sympa de nous donner l'autorisation de voyager, de naviguer, d'écrire, de plonger... C'est complètement inutile mais très gentil.

Ce qui ne l'est pas en revanche, c'est de tenter de nous l'interdire, de nous en dissuader et de juger de notre capacité ou non à mener à bien une navigation. En particulier lorsque l'on se trouve à plusieurs milliers de kilomètres de là et qu'on n'est pas qualifié pour le faire.

Il ne faut pas croire que l'on s'embarque pour des traversées de 1800 km sur l'Océan Indien seul avec femme et enfant en toute inconscience. Cela demande une grosse préparation à tous les niveaux et beaucoup de travail. À l'approche d'un départ, bien sûr qu'on a des doutes, des incertitudes, de la peur même. On se pose beaucoup de questions, on est parfaitement conscients des risques encourus. Il n'y a que Tao pour prendre les choses avec légèreté et insouciance (et encore). Dans ces moments là on n'a pas besoin de sentir les doutes et le manque de confiance que les autres éprouvent à notre égard.

Les jours et les heures précédant certaines nav', nous sommes dans des états de stress, de tension et de concentration intenses. Et certaines réflexions peuvent s'avérer psychologiquement meurtrières. La solution est simple : couper les communications. Mais on se coupe alors aussi de tous les encouragements et du soutien du reste de nos proches...


Il y a un type de messages qui nous met régulièrement mal à l'aise. Ils expriment l'envie de vivre ce que l'on vit. Or, à la base, si on publie des écrits et des photos, c'est seulement dans un cadre restreint, pour donner de nos nouvelles, agrémenter vos fils d'actu de belles couleurs et vous faire sourire quand on le peut.

Ce que l'on craint, c'est que de l'envie naisse la jalousie, entraînant l'animosité de certains. Et j'avoue que nous n'avons pas la moindre envie de nous brouiller bêtement avec qui que ce soit, ni que nos publications soient perçues comme un étalage prétentieux d' une vie de rêve.

Déjà, on est loin de vivre une vie de rêve. Bien sûr que l'on vit des instants exceptionnels, dans des décors fabuleux et qu'on jouit d'une liberté énorme. Mais cela nous a demandé des milliers d'heures d'efforts, de fatigue, d'apprentissages, de travaux physiques éreintants. Combien de moments de détente et de voyages ont été sacrifiés pour réarmer le bateau ? Et entre nous, il faut le supporter l'Océan Indien quand il est mal luné.

De plus, notre mode de vie actuel présente lui aussi ses mauvais côtés et ses contraintes. Des avaries peuvent nous forcer à prolonger des escales dans des coins qui n'ont rien de paradisiaque. La sûreté douteuse d'un mouillage peut nous obliger à rester confinés à bord pour notre sécurité et celle du bateau. On a du quelquefois effectuer des veilles de nuit... Au mouillage ! Un jour, il a fallu lever l'ancre de manière précipitée en toute fin d'après midi alors que la mer se levait brutalement. Heureusement, le premier mouillage de repli envisagé était le bon, sans quoi on se tapait un slalom de nuit entre les cailloux à la recherche d'un abri avec tout les risques que cela comporte.

Toute notre vie matérielle est concentrée sur le bateau qui est entièrement soumis à la météo et exposé aux actes de malveillance. Trop s'éloigner du bateau est toujours angoissant.

Cette vie peut faire rêver lorsque l'on considère les bons côtés. D'ailleurs, j'en ai rêvé. Mais elle est aussi synonyme de rigueur, de discipline, d'abnégation, d'humilité, de dangers spécifiques, de prises de décisions parfois difficiles... Nous l'avons choisi en toute connaissance de cause, la liberté et l'aventure prenant le pas sur le reste. On l'adore, on ne la changerait pour rien au monde. Mais on en paie le prix au même titre que quelqu'un qui a choisi la sécurité de l'emploi, d'acheter une maison à crédit sur 20 ans...

Ceci dit, si l'envie de nous rejoindre au hasard d'une escale ou d'une traversée vous taraude, vous êtes les bienvenus et on sera très heureux de vous accueillir.


J' espère que ces quelques lignes ne vous empêcheront pas de continuer à nous écrire et à nous appeler. Encore une fois, le but de cette note n'est pas de régler des comptes mais de coucher sur le papier des réflexions venant d'un "échange" qui nous a touché, peiné, attristé. C'est un exercice d'écriture auquel il me semblait intéressant de se plier.